Outils d’analyse fonctionnelle
1. Quelques rappels
1.1. Normes et produits scalaires
Soit \(E\) un espace vectoriel.
Pour \(E=\RR^n\) et \(x=(x_1,\ldots,x_n) \in\RR^n\), on définit les normes
A partir d’un produit scalaire, on peut définir une norme induite :
On a alors, d’après (N3), l’inégalité de Cauchy-Schwarz :
Pour \(E=\RR^n\), on définit le produit scalaire
\[<x,y> = \sum_{i=1}^n x_i \, y_i.\]
Sa norme induite est \(\| . \|_2\) définie précédemment. |
1.2. Suites de Cauchy et espaces complets
Toute suite convergente est de Cauchy.
La réciproque de Théorème de Cauchy est fausse. |
2. Espaces fonctionnels
\({\cal C}^p([a;b\))] désigne l’espace des fonctions définies sur l’intervalle \( [a,b]\), dont toutes les dérivées jusqu’à l’ordre \(p\) existent et sont continues sur \( [a,b]\).
Dans la suite, les fonctions seront définies sur un sous-ensemble de \(\RR^n\) (le plus souvent un ouvert noté \(\Omega\)), à valeurs dans \(\RR\) ou \(\RR^p\).
La température \(T(x,y,z,t)\) en tout point d’un objet \(\bar{\Omega}\subset \RR^3\) est une fonction de \( \bar{\Omega} \times \RR \longrightarrow \RR\).
Les normes usuelles les plus simples sur les espaces fonctionnels sont les normes \(\bf L^p\) définies par :
Comme on va le voir, ces formes \(L^p\) ne sont pas nécessairement des normes. Et lorsqu’elles le sont, les espaces fonctionnels munis de ces normes ne sont pas nécessairement des espaces de Banach. Par exemple, les formes \(L^\infty\) et \(L^1\) sont bien des normes sur l’espace \({\cal C}^0([a;b\))], et cet espace est complet si on le munit de la norme \(L^\infty\), mais ne l’est pas si on le munit de la norme \(L^1\).
Pour cette raison, on va définir les espaces \({\cal L}^p(\Omega)(p\in [1,+ \infty[\)) par
on rappelle qu’une fonction \(u\) est mesurable ssi \(\{ x / |u(x)|<r \}\) est mesurable \(\forall r>0\). |
Sur ces espaces \({\cal L}^p(\Omega)\), les formes \(L^p\) ne sont pas des normes. En effet, \(\| u \|_{L^p} = 0\) implique que \(u\) est nulle presque partout dans \({\cal L}^p(\Omega)\), et non pas \(u=0\). C’est pourquoi on va définir les espaces \(\bf L^p(\Omega)\) :
Un cas particulier très important est \(p=2\). On obtient alors l’espace fonctionnel \(L^2(\Omega)\), c’est à dire l’espace des fonctions de carré sommable sur \(\Omega\) (à la relation d’équivalence égalité presque partout près). A la norme \(L^2\) : \(\| u \|_{L^2} = \left( \int_\Omega u^2 \right)^{1/2} \), on peut associer la forme bilinéaire \((u,v)_{L^2} = \int_\Omega u\, v\). Il s’agit d’un produit scalaire, dont dérive la norme \(L^2\). |
D’où le théorème suivant
3. Notion de dérivée généralisée
Nous venons de définir des espaces fonctionnels complets, ce qui sera un bon cadre pour démontrer l’existence et l’unicité de solutions d’équations aux dérivées partielles, comme on le verra plus loin notamment avec le théorème de Lax-Milgram.
Toutefois, on a vu que les éléments de ces espaces \(L^p\) ne sont pas nécessairement des fonctions très régulières.
Dès lors, les dérivées partielles de telles fonctions ne sont pas forcément définies partout.
Pour s’affranchir de ce problème, on va étendre la notion de dérivation.
Le véritable outil à introduire pour cela est la notion de distribution, due à L. Schwartz (1950).
Par manque de temps dans ce cours, on se contentera ici d’en donner une idée très simplifiée, avec la notion de dérivée généralisée.
Cette dernière a des propriétés beaucoup plus limitées que les distributions, mais permet de “sentir" les aspects nécessaires pour mener à la formulation variationnelle.
Dans la suite, \(\Omega\) sera un ouvert (pas nécessairement borné) de \(\RR^n\).
3.1. Fonctions tests
Soit \(\varphi : \Omega \rightarrow \RR\).
Pour \(\Omega = ]-1,1]\), et \(\varphi\) la fonction constante égale à 1, \(\hbox{Supp}\, \varphi = \[-1,1]\).
L’exemple le plus classique dans le cas 1-D est la fonction
\( \varphi(x) = \left\{ \begin{array}{ll} { e^{- \frac{1}{1-x^2}} } & \hbox{si } |x|<1\\ 0 & \hbox{si } |x|\ge 1\\ \end{array} \right. \) \(\varphi\) est une fonction de \({\cal D}(\)a,b\()\) pour tous \(a < -1 < 1 < b\).
Cet exemple s’étend aisément au cas multi-dimensionnel (\(n>1\)). |
Soit \(a\in\Omega\) et \(r>0\) tel que la boule fermée de centre \(a\) et de rayon \(r\) soit incluse dans \(\Omega\).
On pose alors :
\(\varphi\) ainsi définie est un élément de \({\cal D}(\Omega)\).
3.2. Dérivée généralisée
Soit \(u\in {\cal C}^1(\Omega)\) et \(\varphi \in {\cal D}(\Omega)\).
Par intégration par parties (annexe [sec:green]), on a :
Ce dernier terme (intégrale sur le bord de \(\Omega\)) est nul car \(\varphi\) est à support compact (donc nul sur \(\partial \Omega\)).
Or \(\int_\Omega u \; \partial_i\varphi\) a un sens par exemple dès que \(u\in L^2(\Omega)\).
Donc le terme \(\int_\Omega \partial_i u\; \varphi\) a aussi du sens, sans que \(u\) ne soit nécessairement de classe \({\cal C}^1\).
Ceci permet de définir \(\partial_i u\) même dans ce cas.
Soit \(I=]a,b[\) un intervalle borné, et \(c\) un point de \(I\). On considère une fonction \(u\) formée de deux branches de classe \({\cal C}^1\), l’une sur \(]a,c[\), l’autre sur \(]c,b[\), et se raccordant de façon continue mais non dérivable en \(c\). Alors \(u\) admet une dérivée généralisée définie par \(u_1(x)=u'(x)\quad \forall x\ne c\). En effet :
\( \forall \varphi\in {\cal D}(]a,b[)\qquad \int_a^b u \varphi' = \int_a^c + \int_c^b = - \int_a^c u' \varphi - \int_c^b u'\varphi + \underbrace{(u(c^-)-u(c^+))}_{=0} \, \varphi(c) \)
par intégration par parties. La valeur \(u_1(c)\) n’a pas d’importance: on a de toute façon au final la même fonction de \(L^2(I)\), puisqu’elle est définie comme classe d’équivalence de la relation d’équivalence égalité presque partout.
Ces définitions s’étendent naturellement pour la définition de dérivées partielles généralisées, dans le cas \(n>1\).
Quand \(u\) est de classe \({\cal C}^1(\bar{\Omega})\), la dérivée généralisée est égale à la dérivée classique.
4. Espaces de Sobolev
4.1. Les espaces \(H^m\)
Par extension, on voit aussi que \(H^0(\Omega)=L^2(\Omega)\). |
Dans le cas de la dimension 1, on écrit plus simplement pour \(I\) ouvert de \(\RR\) : \( H^m(I) = \left\{ u \in L^2(I) \; / \; u', \ldots, u^{(m)} \in L^2(I) \right\} \) |
On définit de même un produit scalaire et une norme sur \(H^m(\Omega)\) par
En particulier, on voit que pour un intervalle \(I\) de \(\RR\), on a \(H^1(I) \subset {\cal C}^0(\bar{I})\), c’est à dire que, en 1-D, toute fonction \(H^1\) est continue.
L’exemple de \(u(x) = x\, \sin\frac{1}{x}\) pour \(x\in]0,1]\) et \(u(0)=0\) montre que la réciproque est fausse.
L’exemple de \(u(x,y) = | \ln (x^2+y^2) |^k\) pour \(0<k<1/2\) montre qu’en dimension supérieure à 1 il existe des fonctions \(H^1\) discontinues.
4.2. Trace d’une fonction
Pour pouvoir faire les intégrations par parties qui seront utiles par exemple pour la formulation variationnelle, il faut pouvoir définir le prolongement (la trace) d’une fonction sur le bord de l’ouvert \(\Omega\).
- \(n=1\) (cas 1-D)
-
on considère un intervalle ouvert \(I=]a,b[\) borné. On a vu que \(H^1(I) \subset {\cal C}^0(\bar{I})\). Donc, pour \(u\in H^1(I)\), \(u\) est continue sur \(\[a,b]\), et \(u(a)\) et \(u(b)\) sont bien définies.
- \(n>1\)
-
on n’a plus \(H^1(\Omega) \subset {\cal C}^0(\bar{\Omega})\). Comment alors définir la trace ? La démarche est la suivante :
-
On définit l’espace \({\cal C}^1(\bar{\Omega}) = \left\{ \varphi : \Omega \rightarrow \RR \;/\; \exists O \hbox{ ouvert contenant } \bar{\Omega},\; \exists \psi \in {\cal C}^1(O),\; \psi_{|\Omega} = \varphi \right\}\) Autrement dit, \({\cal C}^1(\bar{\Omega})\) est l’espace des fonctions \({\cal C}^1\) sur \(\Omega\), prolongeables par continuité sur \(\partial\Omega\) et dont le gradient est lui-aussi prolongeable par continuité. Il n’y a donc pas de problème pour définir la trace de telles fonctions.
-
On montre que, si \(\Omega\) est un ouvert borné de frontière \(\partial\Omega\) “assez régulière", alors \({\cal C}^1(\bar{\Omega})\) est dense dans \(H^1(\Omega)\).
-
L’application linéaire continue, qui à toute fonction \(u\) de \({\cal C}^1(\bar{\Omega})\) associe sa trace sur \(\partial\Omega\), se prolonge alors en une application linéaire continue de \(H^1(\Omega)\) dans \(L^2(\partial\Omega)\), notée \(\gamma_0\), qu’on appelle application trace. On dit que \(\gamma_0(u)\) est la trace de \(u\) sur \(\partial\Omega\).
-
Pour une fonction \(u\) de \(H^1(\Omega)\) qui soit en même temps continue sur \(\bar{\Omega}\), on a évidemment \(\gamma_0(u) = u_{|\partial\Omega}\). C’est pourquoi on note souvent par abus simplement \(u_{|\partial\Omega}\) plutôt que \(\gamma_0(u)\). |
On peut de façon analogue définir \(\gamma_1\), application trace qui permet de prolonger la définition usuelle de la dérivée normale sur \(\partial\Omega\). Pour \(u\in H^2(\Omega)\), on a \(\partial_i u \in H^1(\Omega)\), \(\forall i=1,\ldots,n\), et on peut donc définir \(\gamma_0(\partial_i u)\). La frontière \(\partial\Omega\) étant “assez régulière" (par exemple, idéalement, de classe \({\cal C}^1\)), on peut définir la normale \(n=\left( \begin{array}{l} n_1 \\ \vdots \\ n_n \end{array} \right)\) en tout point de \(\partial\Omega\). On pose alors \({\gamma_1(u) = \sum_{i=1}^n \gamma_0(\partial_i u) n_i}\). Cette application continue \(\gamma_1\) de \(H^2(\Omega)\) dans \(L^2(\partial\Omega)\) permet donc bien de prolonger la définition usuelle de la dérivée normale. Dans le cas où \(u\) est une fonction de \(H^2(\Omega)\) qui soit en même temps dans \({\cal C}^1(\bar{\Omega})\), la dérivée normale au sens usuel de \(u\) existe, et \(\gamma_1(u)\) lui est évidemment égal. C’est pourquoi on note souvent, par abus, \(\partial_n u\) plutôt que \(\gamma_1(u)\).
4.3. Espace \(H^1_0(\Omega)\)
- Si \(n=1\) (cas 1-D)}
-
on considère un intervalle ouvert \(I=]a,b[\) borné. Alors
- Si \(n>1\)
-
Si \(\Omega\) est un ouvert borné de frontière“assez régulière" (par exemple \({\cal C}^1\) par morceaux), alors \(H^1_0(\Omega) = \ker \gamma_0\). \(H^1_0(\Omega)\) est donc le sous-espace des fonctions de \(H^1(\Omega)\) de trace nulle sur la frontière \(\partial\Omega\).
On en déduit que \(|.|_1\) est une norme sur \(H^1_0(\Omega)\), équivalente à la norme \(\|.\|_1\).
Le résultat précédent s’étend au cas où l’on a une condition de Dirichlet nulle seulement sur une partie de \(\partial\Omega\), si \(\Omega\) est connexe.
On suppose que \(\Omega\) est un ouvert borné connexe, de frontière \({\cal C}^1\) par morceaux.
Soit \(V=\left\{ v\in H^1(\Omega),\, v=0 \hbox{ sur }\Gamma_0 \right\}\) où \(\Gamma_0\) est une partie de \(\partial\Omega\) de mesure non-nulle.
Alors il existe une constante \(C(\Omega)\) telle que \(\forall u \in V, \; \|u\|_{0,V} \le C(\Omega)\; |u|_{1,V}\), où \(\|.\|_{0,V}\) et \(|.|_{1,V}\) désignent les norme et semi-norme induites sur \(V\).
On en déduit que \(|.|_{1,V}\) est une norme sur \(V\), équivalente à la norme \(\|.\|_{1,V}\).
5. Exercices
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Montrer que les fonctions définies par ([eq:fonction-test1]) et ([eq:fonction-test2]) sont bien \({\cal C}^\infty\) à support compact.
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Montrer que \({\cal C}^0([a,b])\) est un espace complet pour la norme \(L^\infty\).
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Montrer que ce n’est pas le cas pour la norme \(L^1\) (exhiber une suite de Cauchy non convergente dans \({\cal C}^0([a,b])\)).
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Démontrer que, lorsqu’elle existe, la dérivée généralisée est unique.
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Démontrer que, pour une fonction de classe \({\cal C}^1\), la dérivée généralisée est égale à la dérivée classique.
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Soit une fonction de \([a,b]\) vers \(\RR\), formée de deux branches de classe \({\cal C}^1\) sur \([a,c[\) et \(]c,b]\), et discontinue en \(c\). Montrer qu’elle n’admet pas de dérivée généralisée. (il faudrait alors avoir recours à la notion de distribution pour dériver cette fonction).
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Montrer que \(|.|_1\) est une norme sur \(H^1_0(\Omega)\), équivalente à la norme \(\|.\|_1\)